PETITE LEÇON DE CHANTAGE AFFECTIF

Lactualité jéhoviste nous fournit un exemple tout à fait remarquable des dérives qu’on peut observer dans ce groupe quant à sa certitude absolue en sa propre pureté, qui se traduit par sa totale incapacité à porter sur lui-même la moindre autocritique, incapacité que je serais presque tenté de qualifier de « pathologique » tant elle apparait parfois caricaturale. Si le prix à payer de cet autisme idéologique ne se comptabilisait en familles brisées, si cela ne se traduisait pas par de fort douloureux sentiments pour ceux qui se retrouvent victimes de cette dérive, on pourrait presque sourire de l’incroyable ingénuité avec laquelle les rédacteurs de la Watchtower ont récemment étalé « au grand jour » la bassesse d’une de leurs pratiques, sans réaliser apparemment l’énormité de ce qu’ils ont écrit, incapables de se questionner sur l’iniquité de ce qu’ils révèlent.

 

Sur la toile, en effet, un extrait de la Tour de Garde du 15 avril 2012 (page 12) fait grand bruit depuis quelques jours[1]. Cet article est intéressant à plus d’un titre. Il permet par exemple de mesurer l’écart qui peut exister entre la crudité du discours interne, brutal et froid, et la lénifiante parole publique du groupe lorsqu’il s’agit de se présenter à « l’opinion » sous les airs les plus respectables (cette édition de la Tour de Garde étant en théorie réservée à un usage interne). S’il faut remarquer qu’il n’y a rien de bien nouveau sous le soleil, tout ce qui y est écrit et décrit étant déjà parfaitement connu sur le fond, il faut bien reconnaitre que, sur la forme, je n’ai pas souvenir que les choses aient déjà été présentées avec aussi peu de vergogne.

 

Voici donc le passage qui nous intéresse :

« La traîtrise : un signe des temps » - La Tour de Garde du 15 avril 2012, page 12 :

"L’un de nos proches ou de nos amis a-t-il été excommunié ? Notre fidélité est alors mise à l’épreuve. Fidélité envers qui ? Non pas envers l’excommunié, mais envers Dieu. Jéhovah nous observe pour voir si nous respecterons son commandement de ne pas avoir de contacts avec quiconque est excommunié — Lire 1 Corinthiens 5:11-13. Afin d’illustrer combien il est salutaire pour une famille dont un membre est excommunié de respecter ce commandement, arrêtons-nous sur le témoignage d’un jeune homme. Celui-ci est resté excommunié pendant plus de dix ans. Dès le départ, son père, sa mère et ses quatre frères ont ‘ cessé de le fréquenter ’, et ils se sont tenus à leur décision. Il essayait parfois de s’associer à leurs activités, mais chacun d’eux est resté ferme en n’ayant aucun contact avec lui. Après sa réintégration, il a confié que sa famille lui avait toujours manqué, surtout le soir quand il était seul. Il a reconnu cependant que, si les siens l’avaient fréquenté ne serait-ce qu’un peu, cela lui aurait suffi. Mais ils ne communiquaient plus avec lui. Le vif désir de profiter de leur compagnie a été l’un des facteurs qui l’ont poussé à tisser de nouveau des liens avec Jéhovah. Si jamais nous sommes tentés d’enfreindre le commandement divin en fréquentant un proche excommunié, repensons à ce témoignage."

 

Je ne ferai preuve d’aucune originalité en qualifiant la pratique que révèle cet article de « chantage affectif », puisque c’est là l’expression qui est venue à tous ceux qui ont découvert cet incroyable texte. Comment le dire autrement ? C’est même un peu plus : c’est la théorisation du chantage affectif.

On y lit la pleine satisfaction des dirigeants jéhovistes quand à l’efficacité du procédé, et la mise en accusation des adeptes qui, s’ils n’appliquaient pas le chantage affectif dans toutes ses conséquences, feraient perdre son pouvoir de coercition au stratagème. Ils se voient même qualifiés de « traîtres », ni plus ni moins (cf. le titre de l’article).[2]JPEG

On y lit l’aveu qu’une pression sociale et familiale est savamment réfléchie et orchestrée par la secte pour forcer le retour en son giron des dissidents.

On y découvre, malgré les grandiloquentes déclarations qu’ils peuvent avoir faites par ailleurs sur la liberté de culte, sur l’importance de la conscience individuelle, ou sur le fait que la religion est une affaire personnelle entre Dieu et l’individu, que les dirigeants jéhovistes sont parfaitement conscients que la soumission à leur dogme et à leur pratique peut être essentiellement motivée par la terrible pression sectaire qu’ils font subir à leurs adeptes et ex-adeptes, et que, non seulement ils n’en éprouvent pas la moindre gêne, mais en arrivent même à s’en féliciter.

 

Que l’éventuel retour du dissident soit le résultat d’une contrainte, d’une violence morale exercée sur lui, semble être le cadet des soucis de la hiérarchie jéhoviste.

Ce passage explique donc, sans rougir, que cette pratique est sans conteste bonne… parce qu’elle fonctionne bien ! La seule question qui est abordée est celle de l’efficacité du chantage. Et effectivement, sous ce seul aspect, c’est un fait : ça marche !

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En ironisant un peu, on pourrait aussi se dire que si le groupe pointait directement le canon d’une arme à feu sur la tempe des dissidents, le nombre de ceux qui se soumettraient augmenterait sensiblement : le taux de retour dans la secte frôlerait alors sans doute les 100%. Et l’on comprend d’ailleurs fort bien, là encore, que les parents « traitres » qui refuseraient de menacer de mort leur fils/fille (ou vice-versa) nuiraient au rendement du système. Si le TdJ dissident se dit que sa maman n’oserait tout de même pas transpercer la tête de son enfant pour des motifs religieux, la menace perdrait son efficacité : il faut donc que la maman soit réellement prête à aller jusqu’au bout, prête à tirer vraiment une balle dans la tête de son enfant, et que son enfant le sache, sinon ça ne marche plus !

 

Évidemment, il s’agit d’une caricature : la violence morale reste globalement moins grave dans ses conséquences que la violence physique, et les TdJ n’ont de toute façon pas le pouvoir (et sans doute pas la volonté) de passer au stade supérieur. Mais comme toute caricature, elle s’appuie sur un trait bien réel : lorsqu’on en arrive à se réjouir de l’efficacité de la violence morale qu’on exerce, peut-on en vraiment condamner ceux qui ont le pouvoir d’user de violence physique, puisque ça marche encore mieux ?

 

On ne trouve par contre pas la moindre interrogation sur l’aspect « éthique » du problème. Est-ce que d’un point de vue moral, on peut vraiment mettre en place un système dont le but avoué est de faire le plus de mal possible à une personne pour contraindre ses choix religieux, et les plier à la volonté de sa famille et de ses amis ? Est-ce qu’on est encore un « peuple pur » quand on pratique ce genre de choses ? Est-on encore « quelqu’un de bien » quand on se fait complice d’une telle entrave à la liberté des membres de sa famille ? L’article semble n’avoir aucune considération pour des questions de ce genre, il lui suffit d’asséner qu’il s’agit là d’une question de « fidélité à Dieu », de sous-entendre que tout avis contraire serait « traîtrise », et tout le reste est évacué du revers de la main. Puisque l’Organisation enseigne que Dieu veut qu’on fasse ainsi, personne ne doit plus se demander si c’est bien ou pas ; c’est aussi tristement simple que cela. Et personne ne bronche…

 

Ceci dit, il n’est pas nécessaire que cet article pose la question de la justice d’une telle façon de faire. La Watchtower a en effet DÉJÀ répondu à ces questions, et la réponse était sans appel : non, ce n’est vraiment pas normal que des gens agissent ainsi, et ceux qui le font se rendent coupables vis-à-vis des gens sur lesquels ils font pression.

 

« Est-il mal de changer de religion ? »; Réveillez-vous!du juillet 2009, page 29 :

Celui qui change de convictions décidera probablement de ne plus participer à certaines fêtes ou à certaines cérémonies religieuses. Naturellement, une telle attitude risque de susciter de vives réactions dans sa parenté. Jésus en a convenu. Il a annoncé à ses disciples : “ Je suis venu mettre la division : l’homme contre son père, et la fille contre sa mère, et la jeune femme contre sa belle-mère. ” (Matthieu 10:35). Voulait-il dire que les enseignements bibliques sèmeraient nécessairement la discorde ? Non. Il entrevoyait simplement que certains réagiraient mal lorsqu’un de leurs proches prendrait fermement position pour d’autres croyances. (…)

Bien que la Bible distingue clairement les vrais enseignements des faux, Dieu laisse chacun libre de décider de ce qu’il en fera (Deutéronome 30:19, 20). Personne ne devrait être contraint de pratiquer un culte qu’il juge inacceptable, ou de choisir entre ses croyances et sa famille." (C’est moi qui souligne)

 

On a peine à croire qu’un tel aveuglement idéologique soit possible : aussi incroyable que ça puisse paraître, la Watchtower décrit dans cet article combien est inacceptable… ce qu’elle ordonne à ses adeptes de pratiquer. Cela n’appelle sans doute aucun commentaire supplémentaire.

Je laisse donc à mes quelques lecteurs Témoins de Jéhovah qui ont encore la possibilité de le faire le soin de réfléchir à tout ça.


Notes :

[1] voir par exemple cette vidéo postée la semaine dernière sur You Tube

[2] On comprend donc que le chantage affectif est double : non seulement on orchestre celui que subira le dissident, mais on stigmatise aussi le fidèle qui n’y participerait pas assez activement.

 

Le 18 janvier 2012 par Ivan K

Source : http://www.tj-revelation.org