PAUVRE JOB !

Le livre de Job fait partie des plus difficiles à aborder, dès que l’on sort de ses prologue et épilogue - écrits en prose, et probablement plus tardifs que le corps du livre. Lecture ardue en général, mais qui le devient sans doute plus encore quand on s’essaie à la Traduction du Monde Nouveau et son style littéraire très… personnel. [1] C’est pourtant la TMN que je citerai dans cet article, pour ne pas me faire accuser de jouer sur les ambiguïtés de traduction (fort nombreuses dans le livre de Job, m’a-t-on dit).

Qu’il y ait des ambiguïtés est un chose. Mais enfin ! Est-ce une raison suffisante pour faire dire à ce malheureux Job l’exact contraire de ce qu’il proclame dans son discours ?

 

Ce que disent les Témoins de Jéhovah :

Les Témoins de Jéhovah se fantasment comme les héritiers d’une longue lignée de serviteurs justes et pieux, qu’ils font remonter à Abel - qui serait donc, d’une certaine façon, « le premier Témoin de Jéhovah ». Évidemment, vu leur obsession pour « l’unité de croyances », il ne serait pas question d’admettre dans leur « corporation multi-millénaire » des personnes qui ont professé autre chose que leur dogme à eux.

 

À la limite peut-on tolérer qu’ils aient mal compris un détail, qu’ils n’avaient pas encore toute la « connaissance », ne possédant pas l’intégralité de la « vérité biblique », d’accord… MAIS, sur l’essentiel, ils étaient tous tenus de croire la même chose que les Témoins de Jéhovah : il ne peut en être autrement ! [2]

 

C’est ce schéma qui préside à leur lecture de la croyance des fidèles du passé en la résurrection. Il faut que la Bible n’enseigne que la résurrection telle qu’elle est définie par le dogme jéhoviste : on va donc ré-interpréter en ce sens tout ce qui y fait allusion, dans le corpus biblique (alors qu’un chrétien devrait faire l’inverse, selon la propre idée que s’en font les Témoins de Jéhovah).

 

Pour mémoire voici ce que disait le livre « Vivre éternellement » (le fameux livre rouge) : LES serviteurs de Dieu ont toujours cru à la résurrection. Voici ce que la Bible dit d’Abraham, qui vécut 2 000 ans avant la naissance humaine de Jésus : “Il estima que Dieu pouvait le relever [son fils Isaac] d’entre les morts.” (Hébreux 11:17-19). Plus tard, Job demanda : “Si un homme valide meurt, peut-il revivre ?” Répondant lui-même à sa question, Job dit à Dieu : “Tu appelleras, et, moi, je te répondrai.” Ainsi, il montra qu’il croyait à la résurrection. — Job 14:14, 15. [3]

 

Dans le même ordre d’idée, l’encyclopédie jéhoviste « Étude perspicace » déclare, à l’entrée « Résurrection » (vol.II, p.781) : Job exprima une foi semblable [en la résurrection] lorsqu’il dit, alors qu’il souffrait intensément : “Ah ! si tu me cachais dans le shéol, […] si tu me fixais un délai, pour te souvenir de moi ! Si un homme robuste meurt, peut-il revivre ? […] Tu appelleras, et moi je te répondrai. Tu languiras après l’œuvre de tes mains.” — Jb 14:13-15.

 
Ce qu’on lit dans le livre de Job

On comprendra bien pourquoi les rédacteurs des ouvrages ci-dessus ont préféré ne pas citer, à propos de l’espérance de Job, d’autres versets, qui semblent pourtant très clairs sur la conviction du personnage au sujet de la résurrection;

 

Tel Job 7,7-10 :

Rappelle-toi que ma vie est du vent,

que mon œil ne reverra pas le bien.

L’œil de celui qui me voit ne m’apercevra plus ;

tes yeux seront sur moi, mais je ne serai plus.

Oui, le nuage s’évanouit et s’en va,

ainsi celui qui descend au shéol ne remontera pas.

Il ne reviendra plus à sa maison,

et son lieu ne le reconnaîtra plus.

 

ou Job 10,20-23 :

Mes jours ne sont-ils pas

en petit nombre ? Qu’il cesse,

qu’il détourne de moi son regard

pour que je me déride un peu

avant que je m’en aille

— et je ne reviendrai pas —

au pays des ténèbres et de l’ombre profonde,

au pays d’une noirceur comme

l’obscurité, de l’ombre profonde et du désordre,

où cela ne brille pas plus que [ne brille] l’obscurité.

 

ou encore Job 16,22 :

Car peu nombreuses

sont les années à venir,

et par le sentier d’où je ne

reviendrai pas je m’en irai

 

Ah ! Oui, mais non…

Évidemment les Témoins de Jéhovah étant des lecteurs assidus de la Bible, ils n’ignorent pas ces versets. Il leur faut donc à tout prix trouver une « parade » à ces versets, qui disent explicitement le contraire de ce qu’ils prêchent, les « neutraliser ». On trouve la « parade » jéhoviste à ces versets dans la Tour de Garde du 15 mars 2006, à la page 14 : Ces déclarations indiquent-elles que Job ne croyait pas en la résurrection ? Dans ces passages, Job évoque son avenir immédiat. Que voulait-il dire au juste ? Une EXPLICATION POSSIBLE est que, s’il venait à mourir, ses contemporains ne le verraient plus. Ils ne s’attendraient d’ailleurs pas à ce qu’il revienne à sa maison. Job A EGALEMENT PU VOULOIR DIRE que personne ne peut revenir du shéol de lui-même. Le texte de Job 14:13-15 indique clairement qu’il croyait à une résurrection future.

 

Peut-être peut-on percevoir une petite gêne à interpréter aussi grossièrement un discours qui est pourtant sans trop d’ambigüité. Il n’est question, ici, que de « possibilités », « il a pu vouloir dire… ».

Ce qui est formidable avec ce genre d’exégèse, c’est que Job « a pu vouloir dire » à peu près tout ce que l’on décide qu’il a voulu dire.

Il faut être particulièrement naïf pour croire qu’on a définitivement levé la difficulté, et que le problème ne tenait en fait qu’à ce que Job « aurait pu vouloir dire ». Le problème tient à ce qu’il dit effectivement dans le texte qui nous est parvenu ! Et ce qu’il dit, c’est que celui qui descend au Schéol ne reviendra pas !

 

Mais le chapitre 14, alors ?

Nous l’avons vu, les exégètes de la Watchtower « éclairent » les versets qui sont en parfaite contradiction avec leur doxa par les versets 13 à 15 du chapitre 14, qui, pour reprendre les mots de la Tour de Garde, « indique clairement que Job croyait à une résurrection future ». [4] Mais que dit précisément Job, dans ces versets qui restent pour la Watchtower la preuve « incontestable » de sa foi en la résurrection, que Job « indique clairement » ? Eh bien lisons la citation dans son contexte, et nous verrons que ce qui est censé être « clairement indiqué » est, c’est le moins qu’on puisse dire, sujet à caution.

 

À partir du verset 7 :

Car il existe un espoir même pour un arbre.

Si on le coupe, il bourgeonnera encore,

et sa jeune pousse ne disparaîtra pas.

Si sa racine vieillit dans la terre

et si sa souche meurt dans la poussière,

à l’odeur de l’eau, il bourgeonnera,

oui il produira une branche comme une plante nouvelle.

Mais l’homme robuste meurt, et il reste étendu là, vaincu ;

l’homme tiré du sol expire, et où est-il ?

Oui, les eaux disparaissent de la mer,

et le fleuve tarit et se dessèche.

L’homme aussi doit se coucher et il ne se lève pas.

Jusqu’à ce que le ciel ne soit plus, ils ne s’éveilleront pas,

ils ne seront pas non plus réveillés de leur sommeil

 

Jusqu’ici Job reste exactement sur la même idée : contrairement aux arbres qui peuvent repousser, l’homme qui meurt est sans espérance. Ça commence mal pour ce qui est de l’exégèse jéhoviste. En ayant ces dernières paroles de Job à l’esprit, replaçons maintenant le « passage-clé » cité par la WatchTower comme preuve de l’espérance de Job :

 

Ah ! situ me cachais dans le shéol,

si tu me tenais dissimulé jusqu’à ce que s’en retourne ta colère,

si tu me fixais un délai, pour te souvenir de moi.

Si un homme robuste meurt, peut-il revivre ?

Tous les jours de ma corvée, j’attendrai,

jusqu’à ce que vienne ma relève.

Tu appelleras, et moi je te répondrai.

Tu languiras après l’œuvre de tes mains.

Car maintenant tu continues à compter mes pas,

tu n’épies que mon péché.

Scellée dans un sac est ma révolte,

et tu mets de la colle sur ma faute.

 

Voilà ! Les versets en question sont une parenthèse dans le texte, sous la forme d’un « Ah ! si seulement ça pouvait être comme ça… » D’ailleurs, des traductions modernes, comme la Nouvelle Bible Segond, mettent ce passage au conditionnel, en Français :

 

"Si l’homme, une fois mort, pouvait revivre,

tous les jours de mon service, j’attendrais (…)

Tu appellerais alors, et moi je te répondrais…"

 

Ce qui est, somme toute, parfaitement « logique » quand la proposition principale est introduite par un « si » (Petit Gibus chapitre 1, verset 1 : « si j’aurais su, j’aurais pas venu ! »).

Reprenons donc notre lecture, une fois que Job referme cette parenthèse dans son argumentation :

 

Cependant une montagne qui tombe dépérira,

et même un rocher sera transporté hors de sa place.

Oui, l’eau use même les pierres ;

son flux entraîne la poussière de la terre.

Ainsi as-tu détruit l’espoir du mortel.

Tu le terrasses pour toujours, si bien qu’il s’en va,

tu défigures sa face, si bien que tu le congédies.

 

« Ah si seulement tu pouvais… mais malheureusement non ! »

 

Voilà exactement ce qu’on peut lire dans le chapitre 14 de Job, dans ces versets qui sont censés « indiquer clairement » la croyance de Job et éclairer tous les autres. De façon très étrange, les rédacteurs de la Watchtower n’ont pas l’air de considérer que ce passage ait besoin d’être « éclairé » par les versets qui le précédent et le suivent immédiatement. [5]

 

Les versets 13 à 15, cités par la Watchtower, ne tombent pas comme un chien dans un jeu de quilles. Ils apparaissent dans une argumentation, dont ils en font partie intégrante, et ne peuvent être lu « tout seuls », isolés de la démonstration dans laquelle ils s’insèrent, sans trahir purement et simplement le propos qu’on prétend analyser. Voilà comment, pour la seule raison qu’on déclare un texte « sacré » et « vérité intouchable », et qu’il faut donc, quel que soit ce qui est effectivement écrit, que l’on sache lui donner une « cohérence », on finit par devenir des « professionnels » du tarabiscotage des mots.

Trahir le texte, c’est un vrai job !


Notes :

[1] Magnifique exemple de ce style en 31, 33, où le « sein », la « poche », le « giron » de Job devient « la poche de [sa] chemise »…

[2] Évidemment, l’histoire récente des Témoins de Jéhovah montre de façon magistrale que, même sans parler de croyances millénaires, ils ne croient pas les mêmes choses à quelques décennies de distance. Mais c’est un autre problème…

[3] Au passage, on notera que nulle part dans la Genèse, Abraham ne fait la moindre mention de sa foi dans le pouvoir de Dieu de ressusciter son fils. Cette idée n’apparait que dans la lettre aux Hébreux et est donc déjà une relecture chrétienne de cet épisode.

[4] Pourquoi est-ce le chapitre 14 qui éclairent les autres, et pas l’inverse ? Ça obéit à la logique jéhoviste : « nous interprétons, et nous vous disons qui éclaire quoi ; et on ne discute pas, c’est comme ça. »

[5] On peut toutefois préciser que les discours de Job laissent tout de même la place à une foi de la part de Job en son rétablissement futur. On peut par exemple l’y lire en 16, 18-22 ou 19, 23-27. On a vu se dessiner ici la foi en la résurrection. Mais si nous avons là affaire à une foi qui dessine peut-être les contours de l’espérance en la résurrection, elle n’y est au mieux qu’en « gestation », car ce n’est pas le propos de Job (dans le contexte), et c’est seulement dans le cadre d’une relecture « canonique » qu’on pourra la trouver. Pour illustrer, on peut tout aussi bien dire que les travaux de Galilée et de Newton ont ouvert la voie à la théorie de la relativité générale… mais ce n’est qu’après Einstein qu’on pourra le dire. Newton et Galilée, eux, ne le savaient absolument pas !

 

Le 16 mars 2009 par Ivan K

Source : http://www.tj-revelation.org