YHWH ET NOUVEAU TESTAMENT : DE NOM, NON !

Chapitre I

Pour les Témoins de Jéhovah, l’emploi du Nom divin (et, bien sûr, particulièrement sous sa forme moderne “Jéhovah”) est une des conditions nécessaires pour se déclarer pratiquant du vrai culte. Renoncer à user de ce Nom, dans son culte, c’est méconnaitre Dieu, presque un reniement, et celui qui se contente de « Dieu », de « l’Éternel » ou de « Père » pour désigner la personne de Dieu, ne peut donc être approuvé par Lui. Les éditions de la Bible qui renoncent à traduire le Tétragramme sont, pour les TdJ, lourdement fautives. C’est l’une des doctrines de base du jéhovisme.

 

Pourtant, nombre de TdJ ignorent que ce problème de traduction ne se pose dans les faits que pour l’Ancien Testament (les Écriture hébraïques) ; en effet, ce Nom n’apparait nulle part dans le Nouveau Testament, tel qu’il nous est parvenu, et les Témoins de Jéhovah sont dans l’incapacité de présenter un seul manuscrit antique du Nouveau Testament (les Écritures grecques chrétiennes) qui nous montrerait Jésus Christ, ou ses premiers disciples, faire usage du Nom Yhwh, sous quelque forme que ce soit !

 

Il semble que les TdJ soient assez souvent dans la confusion sur ce sujet. Les discussions que nombre d’entre eux tiennent sur Internet par exemple, montrent qu’ils confondent régulièrement, au sujet du Nom divin, ce qui ressort des manuscrits (hébreux ou grecs) de l’Ancien Testament (AT) avec leurs pendants grecs du Nouveau Testament (NT), ou encore qu’ils ne savent pas toujours exactement ce qu’est la Septante (souvent notée “LXX”). Même parmi ceux qui savent ce qu’est réellement la Septante, presque tous ignorent l’état de recherche la concernant. Évidemment, il pourrait sembler bien exigeant de ma part d’attendre que les TdJ aient une connaissance raisonnable d’une sujet aussi pointu. Qui, aujourd’hui dans le grand public connait un tel sujet ? Pourtant, comme nous allons le voir, ce sont les TdJ eux-mêmes qui amènent ce sujet sur la table, et cette question devrait donc être centrale pour le TdJ en quête de vérité, compte tenu de la nature des arguments avancés par la Watchtower, exclusivement centrés sur le texte de la LXX.

 

Cette confusion qui règne sur la question, chez les TdJ [1], n’a rien de bien étonnant : la société Watchtower n’aborde ce sujet que de la seule et unique façon qui lui permet de bâtir sa “théorie”, et que bien souvent cette façon partiale et partielle de présenter les choses est elle-même la seule et unique source d’information (sur un sujet comme celui-là) pour ses fidèles.

 

 

Dans cette série d’articles, nous nous proposerons d’exposer au mieux ce problème, certes complexe, et d’essayer d’en cerner les tenants et les aboutissants. Nous allons commencer, dans ce premier volet, par 1) un bref rappel des faits, 2) puis nous exposerons dans notre second épisode la théorie que prêchent les TdJ sur le sujet, 3) nous constaterons ensuite que le seul et unique argument des Témoins de Jéhovah pour justifier leur remaniement du texte du NT est au moins fort sujet à caution, et même très probablement erroné, 4) mais surtout nous verrons pour conclure que ce seul est unique argument est parfaitement fallacieux, puisque l’hypothèse de départ (déjà fort discutable elle-même, disions-nous) ne permet pas, de toute façon, de parvenir aux conclusions que tirent les TdJ. Ce n’est qu’au prix d’un raccourci grossier qu’il passe de leur hypothèse à leur conclusion. 5) Enfin, nous verrons pour finir les graves inconséquences auxquelles en sont réduits les TdJ pour soutenir leur théorie et 6) évoquerons rapidement quelques-unes des questions qui ne trouvent pas de réponses claires et simples lorsqu’on adopte la théorie jéhoviste.

 

Les faits : ce que révèlent les manuscrits

Le Nom divin, sous sa forme יהוה (les quatre lettres yôdh, hé’, waw, hé’, soit yhwh dans notre alphabet, d’où le nom, pour cette graphie, de Tétragramme), apparait de très nombreuse fois (plusieurs milliers d’occurrences) dans le texte hébreu de l’Ancien Testament. S’il est absent des livres d’Esther, de l’Ecclésiaste et du Cantique des Cantiques, il apparait de nombreuse fois partout ailleurs dans l’AT. C’est un fait ! Dans l’AT, il est clair que l’usage de ce Nom propre pour désigner Dieu fait partie des usages.

 

Un autre fait, comme nous l’avons déjà évoqué en introduction, est que, par contre, ce Nom n’apparait NULLE PART dans le texte grec du Nouveau Testament. PAS UN SEUL manuscrit du NT ne contient le Nom divin, sous aucune forme que ce soit [2]. On n’y trouve ni le Tétragramme, ni aucune forme de traduction du Nom, ni Yhwh, ni Yaô, ni Yahweh et encore moins une forme proche de Jéhovah, qui n’apparaitra qu’au bas Moyen-Âge.

J’ai déjà eu l’occasion de constater, lorsque j’ai eu à aborder cet épineux problème avec mes amis TdJ, que la plupart d’entre eux ne me croyaient tout simplement pas. Pour eux, il était impensable que le Nom divin n’apparaisse nulle part dans le NT : je me trompais forcément.

 

L’un d’entre eux notamment, sûr de son fait autant qu’on puisse l’être, m’a même déclaré sentencieusement que je parlais là de choses que je ne connaissais pas, et que si j’avais étudié sérieusement la question, je saurais que la Société Watchtower a publié de nombreuse photos de manuscrits sur lesquels apparait le Nom divin. Je lui avais demandé, bien sûr de m’en citer un seul exemple, ce qui, d’après ses dires, ne devrait pas lui poser le moindre problème… et qu’il ne pût bien sûr jamais faire. Il ne s’est jamais excusé non plus, d’ailleurs d’avoir présomptueusement inversé les rôles, puisque c’était bien lui, pour l’occasion, qui s’était prononcé dogmatiquement sur un sujet dont il n’avait qu’une connaissance très approximative (mais sur lequel il avait, par contre, énormément de certitudes et d’assurance). L’idée n’est pas de régler ici de vieux comptes personnels, mais de donner un exemple concret de l’ignorance, sur ce sujet précis, d’un certain nombre de Témoins de Jéhovah, ignorance renforcée paradoxalement, parfois, par la “certitude de savoir”. Qui plus est, la personne dont je parle étant “ancien” dans sa congrégation, le constat s’impose qu’on peut avoir une “bonne connaissance” de la Bible selon les normes jéhovistes, et ignorer totalement un fait objectif, tel celui qui nous intéresse aujourd’hui, et qui n’a pourtant rien d’anodin : l’absence totale du Nom “Yhwh” dans le Nouveau Testament.

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   Les quatre lettres,

   en phénicien,

   en hébreu archaïque, et,

   sous sa forme la plus célèbre,

   en écriture carrée.

 

 

Si les TdJ ignorent, pour nombre d’entre eux, que ce Nom est absent du texte du NT, c’est parce que le NT qu’ils lisent est celui de la “Traduction du Monde Nouveau” (ou “TMN”) qui est la traduction de la Bible éditée par la Société Watchtower. Or on trouve bien le Nom divin, sous la forme « Jéhovah », dans le NT de la Bible des TdJ, quand bien même il n’apparait pas dans le texte grec. On le trouve précisément 237 fois dans la traduction jéhoviste.

 

Les TdJ se croient souvent bien renseignés sur le sujet, parce que les écrits de la société Watchtower reviennent souvent sur les manuscrits où l’on trouve le Nom hébreu יהוה ; mais ces mêmes écrits sont, par contre, bien plus discrets lorsqu’il s’agit de signaler sans détour que ce Nom n’apparait nulle part dans les manuscrits du NT. Les fidèles sont donc occupés par les preuves martelées de la présence du Nom en certains endroits (dans l’AT), et, comme toujours, il est bien plus difficile de remarquer une absence.

 

Toutefois (et si mon ami avait lui-même mené consciencieusement l’étude qu’il me reprochait d’avoir négligée, il l’aurait su) ce fait est tout de même parfois évoqué, rapidement, par la littérature jéhoviste.

Par exemple, la brochure “Le Nom divin qui demeure à jamais”, page 26, pose cette question, au sujet du NT :

 

« Étant donné que le nom de Dieu ne figure pas dans les manuscrits dont nous disposons , le traducteur a-t-il le droit de le rétablir ? »
(Nous reviendrons donc, dans les articles suivants, sur le verbe « rétablir », utilisé ici de façon tout à fait gratuite par la Watchtower.)

Cette absence est encore abordée, non sans une certaine ambiguïté, à l’article “Jéhovah” de l’encyclopédie jéhoviste “Étude Perspicace des Écritures” (page 1253) :

« Au vu de ces arguments, il semble tout à fait surprenant que les copies manuscrites disponibles du texte original des Écritures grecques chrétiennes ne contiennent pas le nom divin sous sa forme pleine. [3]. »

Les Témoins de Jéhovah, toujours prompts à accuser les éditions de la Bible qui ont fait le choix de ne pas faire apparaitre ce Nom dans leur traduction (argument qui ne peut donc avoir de sens que pour l’AT), ne savent souvent pas que le reproche exactement inverse peut être fait à LEUR traduction, qui introduit ce Nom là où le texte de la Bible ne le comporte pas.

 

Or, si on prétend que le refus de traduire le Nom au profit d’une autres formes (“l’Éternel”, “le Seigneur”, “Dieu”…) est une corruption du texte, la pratique inverse, qui consiste à refuser de traduire naturellement “Seigneur”, lorsqu’on le trouve dans le texte biblique, pour le remplacer par le Nom hébreu de Dieu doit logiquement et honnêtement être qualifiée du même terme : une corruption.

 

Lorsqu’on “traduit” un texte, on ne remplace pas les termes qui ne nous conviennent pas. On ne produit pas dans la “langue d’arrivée” le texte tel qu’on estime qu’il “devrait être”, on reproduit le texte tel qu’il est. C’est d’ailleurs un exercice suffisamment périlleux, à lui seul.

 

Or, au risque de nous répéter, le fait est que dans le texte grec du NT, Dieu est systématiquement désigné par les mots grec “Kurios” (c’est-à-dire : “Seigneur”) ou “Théos” (“Dieu”, évidemment). Il y est bien sûr également souvent question du “Père” (“Pater”, en grec), qui est d’ailleurs l’appellation exclusive de Jésus pour s’adresser à Dieu (jusque dans la “prière modèle” reconnue par les TdJ, en Matthieu 6.9s). Ce sont là les seuls termes grecs par lesquels est désigné Dieu dans le NT.

Absent du texte grec qui nous est parvenu, pas même un seul manuscrit ancien pour le faire apparaitre, mais présent dans le NT de la Bible jéhoviste : voilà le premier exposé des faits

 

Évidemment, les TdJ ne font pas ce choix de “corruption” du texte sans présenter une justification pour ce refus d’accepter ce texte tel qu’il est, et de lui préférer leur version retouchée. Il serait injuste de condamner cette pratique sans avoir d’abord examiné attentivement la validité des arguments de la défense. Ce sera l’objet de notre deuxième chapitre, consacré à l’argumentation des TdJ pour défendre leur point de vue.


Notes :

[1] Il ne s’agit-là que d’un constat général ; si vous-même, cher lecteur, êtes à la fois TdJ et bien au courant des données de ce problème, il est inutile de vous en offusquer à titre personnel.

[2] Il y a aujourd’hui plus de 24 000 manuscrits du Nouveau Testament dont 5400 au moins sont complets. Contrairement à ce que clame certains apologistes chrétiens, les variations sont extrêmement importantes. Suivant les estimations, il y aurait, suivant le système de comptage, entre 200 000 et 400 000 variations soit plus que le nombre de mots dans le NT. (Source : Bart D. Ehrman "Whose word is it ? - p.88-90 . Continuum Editions - ISBN 978-1-84706-314-4). Malgré ces centaines de milliers de variations, il n’y a pas une seule fois la présence du tétragramme.

[3] Ici, la formulation “sous sa forme pleine” est volontairement ambiguë. Elle laisse entendre que le Nom apparaitrait sous une autre forme, ce qui est très équivoque : cela fait référence au mot “alléluia” qu’on trouve dans le chapitre 19 du livre de l’Apocalypse (ou Révélation). Or “alléluia” est un mot à part entière, c’est une formule liturgique employée “pour elle-même”, et son rapport avec le Nom divin n’est qu’étymologique (tout comme pour des noms comme celui de Jésus ou celui de Joseph). Il n’est absolument pas utilisé comme une façon de désigner Dieu, pas plus que ne le sont les prénoms Jésus ou Joseph. Soutenir que le Nom divin apparaitrait dans le NT parce qu’il est étymologiquement à l’origine du mot “alléluia” n’a donc pour objectif que de créer un flou, dont le but est de minimiser le plus possible l’absence totale de ce Nom dans le NT pour désigner Dieu.


Le 11 juin 2010 par Ivan K.

Source : http://www.tj-revelation.org